Utiliser les scanners Artec 3D pour sauver tout ce qui pouvait être sauvé de la plus ancienne civilisation au monde : la Mésopotamie
La Mésopotamie est le berceau de la civilisation, là où sont nés des instruments aussi essentiels que l’écriture et l’Histoire enregistrée. Pourtant, malgré tout le caractère sacré et la valeur que nous associons habituellement à un pays renfermant une si grande partie du patrimoine culturel mondial, de vastes étendues de l’Irak actuel sont aujourd’hui en ruine, et beaucoup de choses ont été perdues, abimées, ou détruites pendant la guerre.
Ce projet a commencé à partir d’une idée : il était essentiel de sauver ce qui pouvait encore l’être.
Un peu d’improvisation a été nécessaire pour acquérir des données de lieux situés en hauteur
« Tout a commencé en février 2015 alors que je buvais un verre à la maison avec un ami », se souvient le réalisateur français Ivan Erhel. Cet ami venait d’acheter un Artec Eva, un scanner 3D portable professionnel, et il en était fou. « Il voulait scanner le monde entier », ajoute Ivan Erhel.
Les deux hommes ont été choqués par une vidéo montrant la destruction d’un musée par l’État islamique à Mossoul. L’ami du réalisateur déplorait toutes les pièces qui avaient déjà été perdues.
« Il a dit : "Si seulement j’avais été là un instant plus tôt, explique Ivan Erhel, nous aurions encore une image précise de ce à quoi ça ressemblait. Mais maintenant, c’est trop tard." »
« Nous avons poursuivi notre discussion et sommes arrivés à la conclusion qu’il restait encore beaucoup de choses à protéger en Irak, ajoute le cinéaste. Je lui ai dit : "Ok, allons voir ce qui reste." »
Ivan Erhel s’est finalement retrouvé seul à coordonner le projet et a dû faire face à de nombreux défis pour obtenir un visa et l’autorisation nécessaire pour commencer à travailler. Il a rapidement compris que face à tous les autres obstacles qui se dresseraient, il serait plus sensé de poursuivre le projet en le centrant sur ce qu’il savait le mieux faire : réaliser un film.
« Je voulais vraiment faire quelque chose – mais je ne suis pas un militaire ni un politicien, je n’ai pas le moindre pouvoir, commente-t-il. En revanche, je sais faire des films. Alors, je me suis dit : "Eh bien, faisons un film." »
Jawad Bashara, l'archéologue Abdulameer Al Hamdani et le photographe Sarmat Beebl se dirigent vers la célèbre ziggurat (Photo : Films Grain de Sable)
Le film suit le voyage du sud au nord d’un homme prénommé Jawad. C’est un écrivain irakien qui avait cherché refuge en France et retourne en Irak 35 ans plus tard, avec l’intention de faire son possible pour préserver ce qui reste du patrimoine perdu en utilisant le scan 3D.
« Le personnage principal n’est pas du tout un geek, précise Ivan Erhel en riant. Mais il réussit à utiliser le scanner et à scanner avec professionnalisme. »
Ce scénario a permis à l’équipe d’accomplir plusieurs choses à la fois : réaliser un film, scanner l’Irak en 3D, et prouver l’accessibilité des technologies 3D.
Scanner le pays
La première chose que l’équipe a tenté de scanner était ce qui reste de la Voie processionnelle, une longue route de brique qui s’étendait jadis sur 250 mètres de long et 20 mètres de large. La Voie était aussi ornée d’une centaine d’animaux et créatures légendaires, dont l’un (un mušḫuššu ou mushkhushshu : un hybride entre un lion et un dragon) a été scanné. Ils ont également numérisé une brique de fondation du mur commémorant la construction de la ziggurat de Babylone, plus connue sous le nom de Tour de Babel.
Scan de la brique de fondation avec Artec Space Spider
Compte tenu des combats ayant éclaté dans la région, l’équipe avait du pain sur la planche au moment de commencer le scan. « À Nimroud, la majorité du bas-relief était complètement détruite, commente Ivan Erhel. À Babylone, les mušḫuššu avaient perdu leurs couleurs mais étaient dans un assez bon état de conservation car ils étaient restés enfouis dans le sable pendant des siècles. Et à Hattra, le site avait été occupé par l’État islamique pendant plusieurs années et les sculptures avaient été "défigurées" – autrement dit, leur visage avait été effacé au marteau ou par des tirs. »
Quand Ivan Erhel et l’équipe qu’il avait réunie se sont rendus en Irak en 2016, l’État islamique occupait 30 % du pays, d’après les souvenirs du réalisateur. « La situation était tendue, commente-t-il. Mais nous y sommes retournés plusieurs fois. »
Selon Ivan Erhel, Artec Space Spider était le scanner idéal à utiliser avec un plateau tournant pour scanner de petits objets tels qu’un clou de fondation ou une brique, ce qu’ils pouvaient faire à l’intérieur, dans un environnement calme. La capacité de Space Spider à reproduire les géométries complexes, les arêtes vives et les nervures fines est ce qui en fait une solution essentielle pour les petites pièces complexes telles ces reliques culturelles, offrant des scans en haute résolution et de la meilleure qualité lorsqu’il est utilisé seul ou combiné à un autre scanner. Sur le terrain, Artec Eva s’est avéré convenir le mieux à la tâche car il était moins sensible aux mouvements incontrôlés lorsqu’il était tenu sur une perche, et était capable d’analyser de plus grands objets tel un bas-relief sous un angle plus large.
L’équipe a pu numériser des lieux en hauteur avec Artec Eva tout en voyageant à travers le pays.
Pour un monument, qui faisait entre 60 et 75 mètres de large et 30 mètres de haut, Eva et Space Spider ont été utilisés ensemble. Une partie du scan a également été effectuée à l’aide d’un drone – qui était illégal en Irak et a, par conséquent, été confisqué pendant une semaine – tandis que d’autres parties ont nécessité l’utilisation d’outils de fortune pour atteindre des zones difficiles.
« Toujours avec un scanner sur une perche », décrit Ivan Erhel, étant donné que certaines parties étaient si élevées qu’elles étaient difficiles à atteindre, et qu’il était impossible de les déplacer.
Toujours en mouvement, Ivan Erhel a mené son équipe du nord au sud, en scannant tout, des ruines aux monuments, devant les civils et les soldats. « Nous avons scanné des gens, et lorsqu’ils se voyaient sur l’écran de l’ordinateur, ils comprenaient ce que nous faisions », explique le cinéaste. « Mais ensuite ils demandaient : "Pourquoi est-ce que vous scannez… Oh, pour préserver le patrimoine ? Oh, le patrimoine ! Eh bien, on en a ici." », ajoute-t-il en riant.
« L’État islamique avait commencé à avancer vers le nord, alors nous étions dans la première zone non militaire de Nimroud, se souvient-il. Malheureusement, tout y avait été détruit – à l’exception d’une sculpture. »
Baptisant cette sculpture « Le dernier survivant de Nimroud », l’équipe a décidé de commencer à la scanner avec Eva – mais au moment même où elle s’apprêtait à le faire, des coups de feu ont retenti. « Ils tiraient en l’air, commente Ivan Erhel. La milice protégeait le site, et ils pensaient que nous étions peut-être des pillards. »
Après avoir expliqué son véritable objectif, l’équipe a toutefois été accueillie plus chaleureusement, et le scan a pu reprendre.
Préserver ce qui pouvait être numérisé
Réfléchir à la cause
Néanmoins, compte tenu des tensions, de la destruction et de la mort omniprésentes et si proches, Ivan Erhel et son équipe se sont posés une question difficile : est-il juste de se concentrer sur la conservation du patrimoine quand des humains sont tués partout et chaque jour ?
Ivan Erhel a trouvé la réponse via un général irakien à Mossoul. « Il m’a dit : "Nous sommes comme un arbre", raconte Ivan Erhel. "Quand des gens tombent, c’est comme la chute des feuilles et des branches. Mais si on détruit les racines, alors il n’y a plus d’arbre." »
Il s’est rendu compte que c’était la raison pour laquelle il était important de prendre soin de ces « vieilles pierres », même au milieu de la guerre et de la souffrance. « Nous avons continué à avancer, en suivant l’armée et la coalition, jusqu’à ce que Mossoul soit complètement libérée en 2017 », explique-t-il.
Rendre ce que l’on doit
Pour cette équipe dévouée, son travail dépasse la préservation culturelle : il s’étend à l’enregistrement de l’histoire qui donne sa forme au monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. « C’est ici que tout a été inventé, commente le réalisateur. L’écriture, le concept de la loi, les découvertes scientifiques, la trigonométrie, les mathématiques, l’architecture, la première arche ("que nous avons aussi scannée", précise-t-il) – l’Irak n’est pas seulement un pays en guerre, c’est là qu’est née la civilisation occidentale. »
Bien que le film soit terminé, le travail et les projets d’Ivan Erhel et de son équipe sont, eux, loin d’être achevés. Prochaine étape : un atelier au mois d’octobre baptisé « Tech 4 Heritage », lors duquel ils prévoient d’enseigner les technologies 3D à de jeunes Irakiens de façon bien plus éducative et participative. Ivan Erhel planifie actuellement des rencontres avec des chaînes de télévision irakiennes et françaises afin de développer le projet. Pour l’heure, le film complet (90 min) sera diffusé sur la chaîne de télévision franco-allemande Arte, après quoi une version abrégée (50 min) sera diffusée dans 20 autres pays.
« Je veux lancer un mouvement de préservation du patrimoine », explique Ivan Erhel. « Si j’apprends à 40 personnes à utiliser la 3D et que ces personnes l’enseignent à d’autres, nous commencerons à rassembler des données des quatre coins du pays et nous pourrons le numériser entièrement », espère-t-il, ajoutant qu’il envoie son Eva en Irak pour être utilisé « là où est sa place ».
L’équipe a pu numériser des lieux en hauteur avec Artec Eva tout en voyageant à travers le pays.
« Le pays est très divisé, mais le patrimoine est omniprésent en Irak, commente-t-il. Et le patrimoine est quelque chose (ou la seule chose autre qu’une équipe de football, précise-t-il) qui peut unifier le pays. »
Au-delà de faire tout son possible pour créer un terrain d’entente dans le pays grâce à un amour partagé du patrimoine, d’inciter la population à s’impliquer, et de rendre quelque chose à la jeunesse, le réalisateur caresse aussi le rêve plus grand de redonner au peuple irakien une partie de sa fierté d’être le berceau de la civilisation.
D’anciennes reliques peuvent maintenant être numérisées et rendues accessibles à tous.
« À plusieurs moments dans l’Histoire, Bagdad a été au sommet du monde, explique-t-il. Peut-être que maintenant nous pouvons réunifier un petit peu le pays, et aussi rappeler au monde ce que nous devons tous à la Mésopotamie – car 90 % de notre culture trouve son origine ici. Nous leur devons tout. »
Et tandis qu’un travail de numérisation 3D est effectué partout dans le pays, la documentation d’une histoire aussi riche ne peut qu’être bénéfique pour le monde entier.
« Cette histoire se déroule en Irak, résume Ivan Erhel, mais cette histoire nous appartient à nous tous. »