Artec Eva aide à préserver un ancien patrimoine culturel maya pour le Google Maya Project du British Museum

Lorsqu’au XVIe siècle, l’évêque espagnol Diego de Landa ordonna à ses hommes à travers le Yucatán de brûler chaque livre et image mayas qu’ils pouvaient trouver, les qualifiant de « mensonges du diable », des siècles de philosophie et d’expression culturelle mayas furent à jamais perdus en quelques heures. Seuls quatre ouvrages mayas ont survécu à son autodafé. À des centaines de kilomètres de là, toutefois, des cités mayas abandonnées foisonnaient de pyramides, monuments, et autres objets d’architecture gravés d’écriture maya, également appelée « glyphes ». Cela ne fait que quelques décennies qu’une poignée de chercheurs peuvent comprendre 90 % de ce que les Mayas ont fourni tant d’efforts à graver dans la pierre, le bois, les ossements, le jade, et les coquillages.

Zoomorphe P de Quiriguá aujourd’hui & 1881

Ces glyphes racontent des naissances, des décès, des mariages, des guerres, des conquêtes, et autres histoires. Patrimoine culturel hors de prix pour des millions de Mayas aujourd’hui et pour le monde entier, ces glyphes sont, chaque année, de plus en plus nombreux à devenir illisibles en raison des ravages causés par les pluies acides qui balaient des centaines voire des milliers de kilomètres. Pour reprendre les propos du Dr Pablo Sanchez, biologiste du Centre d’études atmosphériques à l’Université nationale autonome du Mexique, « nous pourrions perdre tous les écrits et les inscriptions sur les stèles et les colonnes d’ici un siècle ». Les spécialistes en patrimoine culturel n’ont, pour l’heure, pas encore trouvé de solution.

Entre-temps, le British Museum s’est lancé, en partenariat avec le service Google Arts & Culture, dans un projet captivant visant à préserver et même à rendre une partie de ce patrimoine culturel aux Mayas et au reste du monde. Pour ce faire, ils ont combiné les dernières technologies de scan 3D aux travaux du diplomate-explorateur Alfred Maudslay, qui, au XIXe siècle, accompagné d’une équipe de spécialistes passionnés et de quatre tonnes de plâtre, a traversé l’Atlantique jusqu’à la terre des Mayas. Sur place, à l’aide des meilleures technologies de son époque, de plaques photographiques sèches, de moules en plâtre et en papier mâché, ainsi que de son précieux carnet de notes, il a entrepris de préserver l’art et l’architecture mayas pour sa génération et celles à venir.

Stèle E de Quiriguá, vers les années 1880

De retour en Angleterre, tout a été apporté au South Kensington Museum (actuel Victoria & Albert Museum), où les moules ont été transformés en moulages hautement précis, conservant des dizaines de monuments mayas majeurs ainsi que tous leurs glyphes et leur iconographie, tels qu’ils avaient été trouvés dans les années 1880 avant que les pluies acides ne commencent à les ronger.

Pour souligner la complexité du travail entrepris par Maudslay et son équipe, Claudia Zehrt, archéologue et conservatrice du British Museum, explique : « Un monument régulier nécessitait entre 600 et 1 000 segments de plâtre individuels, ensuite rassemblés pour créer les moules finaux transportés vers l’Angleterre. Il s’agissait pour ainsi dire de “négatifs” des monuments, fixant toutes leurs caractéristiques dans le plâtre ou le papier mâché. Puis, en Angleterre, les moulages “positifs” dont nous disposons aujourd’hui ont été créés à partir de ces moules. Ces moulages sont des répliques hautement précises des monuments originaux, ce qui les rend parfaits pour une utilisation à des fins historiques. »

Le Google Maya Project exigeait de créer des modèles 3D incroyablement réalistes et historiquement précis des moulages. Expérimentée dans la photogrammétrie, une méthode de numérisation souvent populaire parmi les archéologues, Zehrt a rapidement pris conscience des difficultés liées à son utilisation pour la collection de moulages de Maudslay. D’après elle, « des centaines de moulages en plâtre de grande taille et très lourds se trouvent sur des étagères basses, à 5 centimètres du sol. Les dimensions des moulages vont de 90 x 105 cm à 240 x 275 cm, voire plus. Il faut plusieurs personnes pour les déplacer, et ils sont assez fragiles. Beaucoup ne sont séparés que par 30 ou 40 cm. La photogrammétrie était exclue car nous n’avions pas assez de place pour travailler sous tous les angles nécessaires. Même si cela avait été faisable, compte tenu de l’installation et du post-traitement longs qu’implique la photogrammétrie, cela nous aurait pris au moins deux fois plus de temps qu’avec notre Artec Eva. »

La conservatrice Claudia Zehrt du British Museum en train de scanner en 3D des moulages du zoomorphe P de Quiriguá avec Artec Eva

Rendu accessible via Google, Artec Eva, un scanner 3D professionnel portable conçu pour numériser rapidement des objets de taille moyenne en haute résolution 3D couleur, était quelque chose de nouveau pour Zehrt. Qu’à cela ne tienne, elle a rapidement appris à l’utiliser. Au début, le musée refusait de croire qu’Eva pourrait numériser les moulages dans un espace aussi réduit, mais Zehrt n’était pas du genre à abandonner. « Même dans les positions les plus délicates dans lesquelles je me suis trouvée à cause de l’espace confiné, Eva a scanné les moulages comme il fallait. Qu’il s’agisse de placer Eva sur un monopode et de soulever celui-ci, ou de me contorsionner quand je n’avais pas assez de place pour m’agenouiller, Eva a scanné toutes les surfaces des moulages à la perfection, y compris les entailles profondes des moulages, qui représenteraient un défi même dans des conditions idéales. »

La conservatrice Claudia Zehrt du British Museum en train de scanner en 3D des moulages mayas avec Artec Eva

Elle explique en détail le processus de scan : « En moyenne, environ 10 minutes étaient nécessaires pour scanner chaque moulage. Certains étaient plus rapides à scanner, tandis que les gros nécessitaient parfois 20 minutes ou plus. Tout dépendait aussi de la profondeur et de l’étroitesse des gravures, étant donné qu’il est plus compliqué pour le scanner de capter les surfaces difficilement accessibles. Le processus aurait également été plus simple et rapide avec davantage d’espace entre les moulages. Les 30 à 40 cm dont je disposais ont ralenti les choses. Si les moulages avaient été indépendants, sans obstacles pour y accéder, j’aurais facilement pu les scanner deux fois plus rapidement. »

Zehrt décrit le traitement des scans dans Artec Studio, « mon workflow habituel commençait avec l’alignement des scans du moulage à l’aide de l’Enregistrement global, puis j’utilisais la Fusion fine et, dans les rares cas où le scan contenait un trou, j’appliquais Réparer le trou pour le combler. Je réduisais le nombre de triangles pour que le modèle 3D final à exporter avec texture fasse moins de 100 Mo, tout en veillant à ce que sa qualité soit toujours bonne. Puis j’exportais le modèle au format OBJ. En ce qui concerne la durée du processus, après seulement 5 à 10 minutes de travail, Artec Studio prenait le relais et s’occupait du reste, me permettant de faire autre chose. Artec Studio fait le plus gros du boulot à votre place. »

Scan fait par Artec Eva du moulage du zoomorphe P de Quiriguá dans Artec Studio

La première étape menant au Google Maya Project consistait à créer un modèle 3D de la stèle E de Quiriguá (comprenant au total 31 moulages séparés, pour une hauteur de 6,7 mètres), si précis et réaliste qu’il pourrait servir à des fins éducatives ainsi qu’à des analyses iconographiques détaillées menées par des mayanistes. Cette étape était cruciale pour démontrer que le scan 3D avec Eva ainsi que le traitement dans Artec Studio constituaient une solution rapide et efficace pour que l’équipe de deux personnes de Zehrt puisse numériser la collection de plus de 400 moulages du projet entier en haute résolution couleur 3D.

Moulage de la stèle E de Quiriguá montrant le visage du chef maya Kawak Sky (Kʼakʼ Tiliw Chan Yopaat)

Comme le montre la vidéo suivante, où la stèle E est un objet de réalité virtuelle étudié par le professeur et épigraphiste maya Christophe Helmke, les résultats parlent d’eux-mêmes :

Zehrt partage quelques détails sur la stèle E : « Nous savons maintenant que ce monument datant de l’an 771 de notre ère montre Kʼakʼ Tiliw Chan Yopaat, également connu sous le nom de Kawak Sky, roi maya de Quiriguá, en train de capturer et de décapiter un autre roi maya, Waxaklajun Ub’aah K’awiil, également connu sous le nom de 18-Lapin, roi de Copán, une cité maya plus grande, qui avait lui-même mis Kawak Sky sur le trône quelques années plus tôt. Un glyphe montre une hache de pierre pour la décapitation, et à l’avant de la stèle vous pouvez voir le roi victorieux (Kawak Sky) en tenue d’apparat et portant une coiffe, des bijoux, etc. C’était un événement majeur pour son peuple et lui car il signifiait leur affranchissement vis-à-vis de Copán. Sans oublier qu’il s’agit d’un monument extrêmement intéressant. L’original pèse 65 tonnes et fait l’équivalent de deux étages. »

L’escalier hiéroglyphique de Palenque, vers 1891

Une étape ultérieure du projet était axée sur la création d’une réplique exacte de l’escalier hiéroglyphique de Palenque par fraisage CNC pour l’exposer à côté de l’escalier original. Construit au VIIe siècle de notre ère, l’escalier s’est grandement détérioré depuis 1891, lorsque Maudslay l’a fixé dans le plâtre. Les détails historiques et les traductions de l’escalier sont disponibles ici.

Les moulages de l’escalier ont posé des difficultés au scan 3D et à la reconstruction numérique, comme l’explique Zehrt : « L’escalier est constitué de 12 moulages, tous rapidement et aisément scannés en 3D avec Eva. Toutefois, étant donné qu’un des moulages était cassé et que certains détails manquaient, nous avons dû nous référer aux dessins originaux et aux photographies de Maudslay pour recréer numériquement la marche entière. Et nous y sommes parvenus. »

Scans de l’escalier hiéroglyphique de Palenque dans le logiciel Artec Studio

C’est à ce moment-là que Zehrt s’est tournée vers l’Ambassadeur Artec Central Scanning pour créer le modèle 3D final de l’escalier, étant donné qu’il nécessitait un raccordement 3D parfait aux jonctions entre les marches. Spécialiste du scan 3D et du traitement des données 3D, l’équipe de Central Scanning a, en une journée, assemblé numériquement les scans dans Artec Studio 14, les transformant en un modèle 3D unifié prêt pour le fraisage CNC en six panneaux distincts, pour faciliter le transport.

Maquette de la reproduction de l’escalier hiéroglyphique de Palenque, créée par Pangolin Editions

Le modèle 3D de l’escalier a ensuite été envoyé à Pangolin Editions, une fonderie de Gloucester, en Angleterre, spécialisée dans les sculptures, où il a été usiné par CNC à partir de calcaire d’Ancaster provenant du Lincolnshire, en Angleterre, un calcaire oolithique du Jurassique moyen assez similaire au calcaire utilisé par les Mayas pour l’escalier original. La légère différence de couleur de la reproduction est voulue, comme l’explique Zehrt : « Les conservateurs du site veulent que les visiteurs sachent qu’il s’agit d’une copie et non de l’original. Ces derniers pourront s’en approcher et la toucher, glisser leurs doigts sur les glyphes et sentir par eux-mêmes cet incroyable trésor culturel. »

Après le fraisage CNC, l’escalier a été transporté par avion jusque Palenque pour y être exposé de façon permanente à côté de l’original.

Les futures possibilités offertes par les modèles 3D des moulages incluent des projets de recherche par des mayanistes et des académiciens du monde entier ainsi que des applications éducatives telles que des « excursions virtuelles » pour des classes et des visiteurs de musées.

Pour reprendre les propos de Claudia Zehrt, « nous ne faisons encore qu’entrapercevoir tout ce que nous pouvons accomplir avec les scanners 3D et les modèles remarquables qu’ils peuvent créer à partir du patrimoine culturel inestimable du monde entier. Au-delà des avantages du scan 3D pour la recherche, ainsi que des possibilités incroyables offertes par la transformation de ces objets en expositions de réalité virtuelle, il est tout aussi important, voire plus, d’utiliser cette technologie pour rendre ces trésors aux peuples et aux civilisations qui les ont créés. Aujourd’hui, avec un scanner 3D portable comme Artec Eva, je peux numériser en quelques minutes presque toutes les pièces exposées dans un musée, ou même les découvertes d’un site de fouilles archéologiques. »

Zehrt poursuit : « En utilisant rapidement Artec Studio pour transformer les scans en modèle 3D, je peux envoyer ce dernier sur une imprimante 3D ou, dans le cas de l’escalier hiéroglyphique de Palenque, le faire fraiser à partir de calcaire ou d’autres matériaux naturels divers, de bois, de pierre, etc. Autrement dit, aux quatre coins du monde, les musées ont le pouvoir de créer des copies incroyablement réalistes de ces artefacts, que les gens pourront toucher et tenir dans leurs mains. Nous n’avions jamais eu cette possibilité auparavant. »

Via le service Google Arts & Culture, le British Museum a rendu accessibles ses archives complètes de Maudslay, incluant photographies, carnets et dessins scannés, ainsi que moulages scannés en 3D, ici.

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